49/ Je viens de relire vos Q/R n° 40 et 48 relatives à l’observation scientifique. On ressent chez vous des réserves, pouvez-vous les expliquer svp ?
Sébastien
Notre appréciation sur la science et son monde appliqués à nos disciplines, n’est pas exposée pour discréditer et dénigrer la science. Elle vise à alerter sur le comportement qui consiste à considérer ces disciplines si la science les reconnaît, ou à s’en détourner si elle ne les cautionne pas. Il s’agit de relativiser la fonction de référence absolue qu’on prête assez souvent à la science. Car par cette attitude on lui confère la toute puissance du démiurge qui décide et impose, règne en maître, et à laquelle on se plie. On érige ainsi la science en une autorité souveraine, ce qui n’est peut-être pas très prudent...
Ce comportement consiste, dans quelque domaine que ce soit, à retenir et à considérer si la science valide, ou à rejeter si elle ne valide pas. Ce qui finalement rend suspect celui qui ne prêche et ne jure que par la science, en soutenant que les scientifiques disent ceci, ou que la science a démontré que, etc. Car dans ce cas c’est affirmer que tout ce qui ne se trouve pas dans le champ d’investigation de la science n’existe tout simplement pas.
Ceci est un phénomène social actuel qui oublie que la science a ses limites:
«Les progrès scientifiques accomplis depuis le début du XX° siècle sont considérables et arrivent à un tel niveau que la science s'impose comme la pensée universelle et tente d'intervenir dans tous les domaines comme facteur déterminant de décision et de jugement de valeur. C'est la nouvelle religion mondiale, unificatrice et résolument anti-croyances et superstitions, à laquelle tous les scientifiques et les hommes de tous les pays et de toutes les races adhèrent. Grâce à la science l'homme a l'impression de pouvoir tout créer et tout inventer. Mais les grands problèmes sont toujours là: la santé, les maladies graves, les pollutions, les délinquances, les catastrophes naturelles ou artificielles, la famine , etc. .... A l'évidence, la science au lieu d'apporter des vraies solutions, ne fait que créer d'autres problèmes».
Ainsi, c’est souvent suite aux progrès de la science que sont mis au point de nouveaux médicaments ou des additifs alimentaires.... à l’origine de nombreux scandales à posteriori (Médiator, Lévothyrox, E 171, etc.).
Le référent scientifique rejette tout ce que les anciennes traditions nous ont transmis parce qu’il ne peut appréhender les aspects non observables et mesurables par ses moyens d’investigation. Aspects pourtant bien réels hors champ scientifique, perceptibles par l’expérience subjective de la conscience humaine. Cette capacité subjective a toujours été considérée par les traditions qui lui donnaient différents noms: expérience mystique, contemplation, extase, béatitude etc., par exemple. Ceci a eu cours aussi longtemps que les savants ne se sont pas mis à critiquer les traditions dans l’intention de donner à l’histoire ancienne une tournure raisonnable et correcte à leurs yeux, à la «lumière scientifique».
La science, tout aussi respectable qu’elle soit, et elle l’est, ne peut prétendre détenir toute la vérité et rien que la vérité, ce que d’ailleurs, à notre connaissance elle n’a jamais soutenu.
La science en elle-même permet des progrès fabuleux dans beaucoup de domaines et en permettra encore. Et c’est heureux, l’homme bénéficie grandement de ses découvertes (en matière de chirurgie par exemple). Sa propre évolution fait qu’elle revoit ses positions au fil de ses découvertes et il est fort à parier que lorsque elle sera en mesure de dépasser les limites actuelles de son champ d’observation son discours sur une chose ou une autre, nos disciplines y compris, changera sensiblement.
La science que nous connaissons aujourd’hui est une entité qui a sa propre vie et semble pour l’heure vivre sa jeunesse. Elle est d’apparition récente même si les théories de la connaissance remontent à Platon et Aristote, ce qui reste jeune tout de même au regard de l’âge de l’humanité. Comme toute chose, elle a son chemin à effectuer, sa propre évolution qui la conduit à différents stades d’où elle revoit régulièrement ses positions et affirmations.
La science occidentale évolue dans une vision dualiste d’opposition pour qui il y a un sujet pensant et un objet observé. Les civilisations traditionnelles, considèrent au contraire «un monde-en-moi et un moi-dans-le-monde». Ceci faisant de moi un élément de l'harmonie du monde. Dans les civilisations traditionnelles, la vision est unitaire, il n'y a pas d'effort pour joindre les deux termes: «si le monde est en moi, j'en possède la connaissance et si je suis dans le monde, je n'ai pas à y tailler ma place puisqu'elle y est préparée. Je dois simplement prendre garde de n'en point sortir».
La connaissance à laquelle parvient la science par ses observations objectives postule une distinction entre celui qui observe, connaît par l’observation, et l'objet connu. Or, seul celui qui fait l'expérience de la non distinction entre le sujet et l'objet sait réellement ce qu'il en est. Ainsi l'expérience implique la subjectivité car c’est à son niveau que la véritable expérience se réalise: «Un homme qui boit de l'eau sait par lui-même si elle est froide ou chaude». L’expérience personnelle et subjective lui suffit, il n'est pas nécessaire pour cela de faire appel aux éprouvettes et aux expériences impersonnelles que mène la science: «connaissance et vérité deviennent indifférenciables, objets et esprit forment une seule unité, et alors il cesse d'y avoir une distinction entre le sujet et l'objet de l'expérience».
Dans son approche et la découverte des choses la science moderne procède comme une tortue. La tortue est au sol et n’a de regard sur le monde que la vue que cette situation lui permet. Elle se déplace de façon linéaire et découvre ce sur quoi butte son nez. A ce moment là elle inspecte, détaille, après quoi, lorsqu’elle a suffisamment analysé et qu’elle connaît, elle reprend sa route jusqu’à une autre rencontre avec un nouvel objet avec lequel elle recommencera son processus d’investigation.
Ainsi son principe de découverte est linéaire, c’est une succession de rencontres de divers éléments selon l’itinéraire de son chemin parcouru, éléments qu’elle connaît de façon individuelle mais sans être en mesure de définir leur place et rôle dans l’ensemble plus vaste auquel ils appartiennent. Pas plus que leurs relations réciproques. Ce mode de découverte est possible et c’est la démarche scientifique des occidentaux.
Les anciennes traditions ne quittaient pas la vision unitaire de l’univers et fonctionnaient comme l’aigle. L’aigle ne procède pas comme la tortue, il ne se trouve pas au sol mais plane au-dessus de la chose observée. Il tourne autour, décrivant des cercles, découvrant ainsi successivement les différentes facettes de l’objet avec la vision que permet les multiples points d’observation situés sur le cercle qu’il décrit. Il a ainsi immédiatement une idée de l’ensemble. Le nombre des cercles est multiple et, à chaque passage sur chaque facette, il découvre un détail de plus. Détail qui s’intègre aussitôt dans la vision de l’ensemble que l’aigle ne perd pas, comprenant le rôle de chacun, ses relations avec les autres, la valeur du tout. Et au fur et à mesure il rétrécit le cercle pour observer encore de plus près, affinant sa connaissance et du détail et de l’ensemble.
La science procède par succession, passant d'un objet à un autre, et dresse progressivement son catalogue de phénomènes, lequel ne sera évidemment jamais terminé. Inversement, la connaissance traditionnelle s'élève afin de saisir l'ensemble des objets, dont elle se réserve une analyse plus détaillée par la suite. En d'autres termes, la science réunit ses analyses individuelles, dont la liste est par définition incomplète, en synthèses provisoires, alors que la voie traditionnelle procède d'abord à une synthèse, qui peut éventuellement être suivie d'analyses partielles, mais celles-ci ne se font que dans le cadre de la synthèse préalable.
«Si la connaissance a le caractère définitif de toute qualité, la science ne peut procéder que par retouches successives, par approches rectifiées, en abandonnant telle théorie pour telle autre dès qu'une expérience, toujours fortuite, révèle de nouveaux paramètres. Mais c'est toujours en l'absence complète de toute doctrine directrice, qui garderait perpétuellement sa valeur, ce qui est le trait caractéristique de la connaissance, dans les anciennes traditions».
La recherche scientifique s’est spécialisé à un tel point dans l’analyse de domaines particuliers que la compréhension de l’ensemble s’est évanouie. Son approche des choses dans un esprit de dissection analytique, a favorisé un glissement progressif vers la perte de la vision unitaire du monde, de l’interaction et interdépendance de tous ses composants. De plus, au lieu de chercher à connaître le monde, la science s'est donné pour but de changer ce monde.
Aussi dans l’attente que son évolution conduise la science moderne à de nouvelles considérations, il nous appartient effectivement d’émettre quelques réserves quant à ses avis actuels sur nos disciplines.
En conclusion, le propos tenu sur le thème «la science et nos pratiques» ne remet pas en cause le fait que la science s’y intéresse, ce n’est pas une mauvaise chose. Il rappelle simplement qu’il ne faut pas prendre tout ce qu’elle nous dit pour parole d’évangile et qu’il convient de cesser de lui donner trop d’importance.
L’erreur n’est pas la science, c’est de lui accorder trop de crédit.
« Les mystiques comprennent les racines du Tao mais non ses branches; les savants comprennent ses branches mais non ses racines. La science n'a pas besoin de la mystique et la mystique n'a pas besoin de la science; mais l'homme a besoin des deux ».F. Fournier